Pétiole
ou
limbe proximal ?

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Mise à jour : dimanche 13 mars, 2011


Vous pouvez utiliser directement le menu ci-dessous ou lire l'introduction (conseillé) qui présente les mêmes liens sous forme d'un plan.

Voir éventuellement les autres parties de ce dossier dans son index, en particulier la page consacrée à l'Anatomie de la Dionée ainsi que les Variétés de la Dionée.

Si le sujet vous a intéressé, ce sera avec plaisir que je lirai vos remarques...

© 2008 CarniBase

Introduction

Dionée et Nepenthes sont deux plantes carnivores qui partagent au niveau de l'anatomie de la feuille certaines similitudes. Les Nepenthes présentent un piège en forme de tasse au bout d'une attache qui le relie au reste de la feuille. Les Dionées présentent un piège en deux lobes, également au bout d'une attache qui le relie au reste de la feuille. Pourtant, la plupart des botanistes en herbe nomment "pétiole" toute cette sous le piège de la Dionée, comme si celui-ci était forcément la totalité du limbe, alors que personne ne dit cela pour les Nepenthes ! Au contraire, chez ces derniers, le mot "limbe" sert souvent à désigner toute cette zone, comme si le piège n'en faisait pas partie ce qui est profondément erroné ! Il y a donc, déjà, un paradoxe à éclaircir...

Je cultive et étudie la Dionée depuis 1986, possède plus de 170 variétés et ne partage pas du tout ce point de vue, qui me paraît un peu simpliste. Je considère que le piège s'est formé dans les deux cas à partir de l'extrémité seulement du limbe initial... J'utilise donc le terme personnel de "limbe proximal" pour la partie du limbe restée normale, à la base - le limbe distal correspondrait bien sûr au piège, en haut de la feuille. J'ai utilisé longtemps le terme "limbe inférieur" plus accessible au grand public mais plus flou, surtout lorsque la feuille est prostrée, plaquée au sol, puisque plus rien n'est supérieur ou inférieur... Il laisserait penser aussi qu'il y aurait deux limbes, l'un supérieur et l'autre inférieur : non, je parle bien de deux parties d'un limbe unique !Proximal, veut dire le plus proche de l'origine, en opposition à "limbe distal" (= "le plus distant") en l'occurrence le piège. J'ai abandonné l'expression "limbe inférieur".
Cette page est destinées à expliquer les raisons de ce choix, assez polémique ;-).

En voici le plan :

La première partie est consacrée aux définitions et aux cas exceptionnels qui peuvent concerner le sujet.
- La Définition du pétiole et du limbe, indispensable en botanique.
- Un petit voyage dans le temps qui vous explique pourquoi, quelquefois, il y a eu une Réduction du limbe.
Ce phénomène peut effectivement entraîner à son tour une évolution du pétiole qui va s'élargir pour compenser, ce qui conduit à L'existence de pétioles ailés et leur origine, pour lesquels je montre quelques Exemples. L'idée est d'essayer de trouver dans la nature des pétioles ailés et de comprendre les causes de leur apparition. Je termine cette première partie par un petit commentaire sur les Phyllodes, qui sera utile pour la suite...

Dans la deuxième partie, j'aborde les hypothèses sur le sujet. J'essaye donc d'examiner les éventualités, Quelle origine pour un pétiole ailé chez la Dionée ?
Je donne ensuite mon premier argument qui repose sur une plante très voisine, Aldrovanda, chez qui on ne distingue pas d'ailes sur un pétiole, ni de réel pétiole correspondant à la définition : Premier argument avec Aldrovanda vesiculosa.
Le reste de mon argumentation repose sur Les mutations et ce qu'elles nous révèlent.

Enfin la Conclusion. Retour en haut de page

I-Définitions et particularités

Définition du pétiole et du limbe

Le pétiole (par définition botanique) est la partie étroite, présente ou non, qui supporte le limbe, partie de la feuille qui, elle, joue vraiment un rôle dans la photosynthèse. Comme certains (voir plus bas) disent n'importe quoi à ce sujet, voici quelques références :

- "Flore du domaine atlantique du Sud-ouest de la France", qui est une référence pour tous les étudiants de la région et écrit par deux profs très connus que j'avais à la fac, M. Laporte-Cru et Mme Auger. On lit p. 376 : "Pétiole : partie inférieure de la feuille qui relie le limbe à la tige. Le pétiole manque aux feuilles dites sessiles."
- "Flore descriptive et illustrée de la France de la Corse et des contrées limitrophes" par l'abbé Coste (référence absolue de la botanique de la France, en 24 tomes ; on dit "Le Coste") Tome 1 page XIV : "Feuille ; organe des plantes, le plus souvent de couleur verte, composé du limbe et du pétiole : feuille du Tilleul".
- "Flore complète portative de la France, de la Suisse et de la Belgique" de Gaston Bonnier, chez Belin, p. 405 (autre référence pour le terrain ; "Le Bonnier") : "Pétiole. - Partie relativement étroite , situé au-dessous du limbe ; c'est ce que l'on nomme vulgairement : la queue de la feuille.".
- "Guide des plantes sauvages" de Sélection du Reader's Digest, première édition, p. 402 : "Une feuille typique est constituée d'une lame foliaire ou limbe portée par un pétiole étroit dont la base plus ou moins élargie s'insère sur la tige au niveau d'un noeud [...]"
Bon, je n'ai pas retrouvé mon Manuel des Castors Juniors, j'arrête là...

Son rôle originel est de servir d'axe pour orienter la feuille par rapport au soleil, possibilité qui est devenu essentielle lorsque les plantes vertes sont sorties de l'eau originelle. Rappelons que les Algues n'ont pas de vraies feuilles - ne pas confondre avec les Plantes vertes aquatiques, attention - mais un corps appelé thalle, qui peut plus ou moins se différencier par endroits. Pour les petites plantes ce n'étaient pas forcément important car la tige pouvait pousser elle-même de manière à s'orienter vers la lumière comme on peut encore le voir pour les Mousses. Pour les grandes plantes (les premières ont été les Fougères) cela devenait d'autant plus critique que la taille augmentait - c'était les arbres de l'époque. évidemment, des tas d'adaptations font que l'absence de pétiole ne pose pas de problème.
(Au fait, on pronnce "péssiole" et non "péTiole"...)

La réduction du limbe

Il vous est arrivé d'oublier d'arroser des plantes en plein été et de constater que les extrémités des feuilles sèchent en premier. Ce phénomène est plus marqué avec les grandes feuilles, ce qui se comprend bien car l'eau arrive moins facilement aux extrémités ou bien arrive avec une température déjà élevée. Dans les régions sèches, les feuilles réduites sont avantagées, en particulier justement au niveau de ce limbe, de la distance entre les tissus à la nervure centrale de ceux-ci. L'évolution va donc favoriser la réduction du limbe...

Dans certains cas, la disparition du limbe est totale et la photosynthèse se déplace vers les pétioles et les tiges, qui deviennent très verts. Pensez aux Cactus si compacts et entièrement verts avec des feuilles quasi inexistantes... Les Genêts sont un autre bon exemple, ce sont des tiges aplaties que l'on prend pour les feuilles ! Les pétioles deveniennent plats pour augmenter leur surface d'exposition à la lumière tout en conservant leur caractère compact plus économique en eau. Permettre une mobilité du limbe devient moins important dans les lieux fortement exposées au plein soleil que d'économiser l'eau aussi le limbe disparait et sa fonction est assurée par le pétiole, qui conserve ce nom même s'il ne supporte plus de limbe.

L'existence de pétioles ailés et leur origine

La réduction du limbe peut ne pas être totale et la partie "perdue" est compensée parfois par l'apparition d'une structure latérale aplatie, avec la même fonction qu'un limbe : récupérer la lumière. Ces formations appelées ailes sont donc d'apparition secondaire à partir d'un pétiole de base qui est une simple nervure plus ou moins renforcée.

Les ailes n'apparaissent donc pas "comme ça" sur des pétioles banals mais bien par nécessité : il s'agit de palier à un limbe trop réduit pour recevoir assez d'énergie solaire tout en ne favorisant pas la dessiccation. Leur taille est donc généralement très petite.
Les ailes apparaissent aussi pour une tout autre raison : renforcer des structures. Le Pois de Senteur de nos jardins a des tiges (elles-mêmes plutôt cassantes) renforcées par des ailes sur toute leur longueur, à la manière des poutrelles métalliques avec leur section en "H"...

Exemples d'ailes

On voit bien chez plusieurs agrumes que des ailes facilitent la réduction du limbe pour résister à un air sec. Ci-dessous le Poncirus trifoliata montre un pétiole légèrement ailé et, à coté, une épine qui résulte aussi d'une réduction foliaire, fréquente dans les milieux secs en même temps qu'il protège en partie des herbivores - des gros et encore... pas de tous. Le deuxième exemple montre une feuille de Combavat, un cas extrème, exceptionnel. On devine que cette échancrure n'a aucune fonction. A partir d'un modèle (dans le sens de "patron", "pattern" en anglais) avec de petites ailes, on assiste simplement au retour vers une forme normale de feuille : comme chacun sait, l'évolution ne revient pas en arrière, c'est l'existant (les ailes ici) qui s'adapte pour remplir les mêmes fonctions. (Ainsi, les Baleines n'ont pas vu repousser les branchies de leurs ancêtres et leurs nageoires sont des pattes transformées.)

Une feuille ailée
Feuille ailée de Poncirus trifoliata.
(L'épine est une deuxième feuille transformée)

Feuille de Combavat

Le cas des phyllodes
Il arrive tardivement que la réduction des feuilles à leur simple pétiole ne soit plus nécessaire, par exemple si les conditions climatiques s'améliorent. L'évolution sur une longue période a fait perdre toute possibilité de restauration de l'ancien système, bref ces pétioles ne pourront plus jamais former de limbe. Par le jeu des mutations, certains plants acquièrent avec le temps des pétioles ayant des excroissances latérales qui compensent un peu cette absence de limbe, permettent de récupérer un peu plus de lumière. Ces plants vont donc être avantagés, se multiplier d'avantage, la sélection naturelle restaure ainsi la fonction d'un limbe normal "à peu de frais" à partir de ce qui reste de la feuille. Dans des cas extrêmes, la feuille finit par ressembler à une feuille banale, bref ils sont dits "phylloïdes" et le substantif formé est le mot "phyllode". Les phyllodes, par définition botanique, sont donc de telles feuilles qui ont d'abord perdu la capacité de former le limbe, la partie terminale bien connue de la feuille, celle qui exploite l'énergie solaire, mais ont remplacé cette partie disparue par une formation secondaire latérale jouant le même rôle. On comprend qu'il ne reste donc plus que la "tige" de la feuille, ce que l'on appelle par définition le pétiole et quelque chose autour qui ressemble de plus en plus au limbe d'une feuille autour de sa nervure. Il devient donc extrêmement difficile, sans les étapes intermédiaires, de savoir à quoi on a à faire. Voici, par exemple, une définition courte trouvée sur le site du CNRTL (lien) : "phyllode, subst. fém. Pétiole aplati, ressemblant à une feuille et qui en remplit les fonctions physiologiques (d'apr. Agric. 1977). V. Bot., 1960, p.1401 [Encyclop. de la Pléiade]".
Vous connaissiez peut-être déjà ce mot à propos des Sarracenia, qui produisent parfois des feuilles sans piège. Malheureusement ce n'est pas un bon exemple car les prétendues "ailes" ne sont pas du tout des formations secondaires autour d'un pétiole ! En réalité, celui-ci reste parfaitement inchangé et cylindrique à la base de la feuille et c'est seulement le limbe qui se modifie, bref cela n'a rien à voir ! Je démontre facilement l'idée et la développe dans cette page. (Je sais, il y a encore de la polémique dans l'air, mais j'attends toujours les arguments contraires...)

Au stade où nous en sommes, la question est de savoir si cette partie large sous le piège de la Dionée est donc un pétiole qui aurait formé des ailes ou simplement la partie inférieure d'un limbe dont la partie supérieure aurait évolué en piège. Il n'y a guère que des comparaisons avec des plantes existantes qui puissent faire avancer le débat, ou bien l'étude d'anomalies chez la Dionée : il n'y a pas de preuve indiscutable comme le serait un fossile qui montrerait des Dionées primitives non ailées par exemple...

Une étude de la structure des faisceaux conducteurs serait précieuse mais il faut être très prudent quant aux conclusions. Il ne s'agit pas de comparer des squelettes d'animaux, qui sont vraiment au coeur de l'évolution. Les cellules végétales ont beaucoup plus de capacités d'adaptation, de dédifférenciation, etc.

J'espère que vous me contacterez si vous avez quelque chose afin de faire évoluer cette page... Jusqu'à preuve du contraire, personne n'a montré que le piège était formé à partir du limbe entier. Voyons ensemble ce qu'il en est de l'autre hypothèse.

II-Hypothèses et argumentations

J'essaie tant que possible dans ce site ne pas pas mêler mes articles avec des affaires personnelles mais je considère comme inqualifiable l'agression dont j'ai été victime dans un forum par le bien connu Serge Lavayssière, cet instituteur qui se targue de donner des leçons de botanique à tout le monde, y compris à des personnes qui, comme moi-même, l'ont étudiée à l'Université. J'étais en plein échange constructif avec diverses personnes lorsqu'il s'est brutalement mêlé de la conversation en alignant diverses âneries parsemées d'insultes MAIS bien sûr sans le moindre démonstration de ce qu'il avançait ;-). J'avais préféré à l'époque ne pas répondre. Voici tout de même ce qu'il écrivait en avril 2007 et sans doute aussi comment il décrivait la feuille à ses jeunes élèves :

«Alors qu'il est clairement établi, depuis des décennies, que le piège de la Dionée constitue la feuille [sic], et que la partie plus ou moins ailée qui la soutient est le pétiole (voir sur
http://serge.lavayssiere.free.fr/archives/Feuille_de_Dionaea.jpg [lien rompu]
une image montrant la structure d'une feuille de Dionée admise par 99,99% des botanistes) [très drôle...], voilà qu'en raison de quelques cours de botanique mal digérés, avec des arguments bidons pouvant tous prouver le contraire, on va remettre ça en cause !»

Le lien est mort et je ne peux pas vous présenter son dessin originel, d'abord à cause de droits d'auteur et ensuite parce qu'il a discrètement retiré le dessin en question - sans explication ni aucune excuse, faut pas rêver... Mais j'ai résumé dans le schéma ci-dessous sa conception fantaisiste, la mienne puis celle communément admise.

Cela ne l'empêche pas, toujours depuis des années, de parler dans son site des "pièges qui sont des trappes formées de deux lobes se fermant grâce à un axe comme une mâchoire" alors qu'il suffit d'observer pendant la fermeture que les lobes se courbent et que leur base ne bouge pas, bref qu'aucun axe n'est en cause ;-).

Points de vue sur la feuille de Dionée

Mon hypothèse est tout à fait conforme au standard de la botanique et c'est juste la répartition entre le pétiole et le limbe qui change. En revanche, n'importe quel Petit Larousse vous expliquera que le pétiole fait bien partie de la feuille :-).

Quelle origine pour un pétiole ailé chez la Dionée ?

Lorsqu'une plante présente des feuilles ailées, on trouve une bonne raison, mais pour la Dionée ? Si l'on exclue la formation des ailes dans le cas des phyllodes (puisqu'il y a bien un limbe) cela conduit à deux hypothèses :
- soit, les ailes existaient avant l'apparition de ce type de piège,
- soit, les ailes sont apparues après l'apparition de ce type de piège.

Si les ailes existaient avant l'apparition de ce type de piège :

L'ancêtre serait une sorte de Drosera qui aurait un piège à l'extrémité d'un pétiole déjà ailé.
Il existe actuellement certains Drosera australiens avec cette structure, des Drosera pygmées. Ce groupe est spécialisé dans les pièges de petite taille pour de petites proies au ras du sol. Une fois le piège utilisé, un pétiole aplati ou ailé est un avantage car autrement il ne reste plus grand chose pour la photosynthèse... Peut-on imaginer une évolution d'un tel Drosera vers la Dionée ? Pourquoi pas, mais c'est purement spéculatif : on constate qu'il n'y a aucun fossile aux état-Unis où vivent les Dionées sauvages ni même de Drosera qui pourrait en être l'ancêtre... Certains ont bien une nervure centrale très développée mais ce ne sont pas des ancêtres, tout au plus des traces qui pourraient reliés ceux-ci à des ancêtres communs : je m'en sers justement dans mon article "Spéculations sur l'origine de Dionaea". Est-il prouvé, du reste, que le piège de ce Drosera pygmée ne soit, lui aussi, qu'une partie du limbe, autrement dit que son "pétiole ailé" ne soit pas lui-aussi un limbe proximal ? Toujours le même problème : les ailes sont des formations secondaires qui surviennent face à une carence en énergie après une réduction initiale du limbe. On tombe dans le cas suivant.

Si les ailes sont apparues après l'apparition de ce type de piège :

Il faut alors trouver une cause plausible à cette apparition...
Les Droséracées de tous les continents sont des plantes de milieux humides quand ce n'est pas aquatiques. Elles y sont parfaitement adaptées au point d'en être également dépendantes. Les Drosophyllum donnent l'impression de vivre en milieu sec sur les rochers mais en réalité la roche est poreuse (souvent une sorte de grès), très humide en profondeur et la plante pousse dans les fractures. On peut donc exclure sans grand risque la cause de l'air sec qui entrainerait une réduction du limbe, etc. comme décrit plus haut : une hypothèse peu vraisemblable en science, si elle n'a pas de preuve (fossile en l'occurrence) est soit rejetée soit mise de coté...
Il ne reste plus que le cas où elles seraient apparues pour compenser une perte d'exposition à la lumière... mais après l'apparition du piège ! Il faudrait que tout le limbe originel soit d'abord devenu piège, puis qu'elle souffre d'un manque de lumière, de photosynthèse, ce qui favoriserait alors cette croissance secondaire inexistante chez l'ancêtre. Effectivement la fermeture du piège divise par deux l'exposition de la zone concernée mais si l'on observe la plante vivante, on constate qu'il y a peu de pièges fermés, souvent aucun. On peut imaginer que dans un marais il y a encore moins de proies de la taille d'une mouche qu'en ville ou dans un environnement banal, bref que ce soit pire ! L'examen de photos (faute d'aller sur place...) ne nous montre pas un nombre élevé de pièges fermés... Une feuille vit au moins six mois en général, ce qui est bien peu par rapport à la durée d'une digestion, une à deux semaines maximum pour une feuille "dans la fleur de l'âge". La fermeture du piège n'empêche pas la photosynthèse car la surface externe reste importante. Bref, ce cas n'est décidément pas lui même très convaincant...
Ainsi, je ne vois plus qu'une hypothèse plausible, la mienne : ce n'est pas un pétiole ailé mais la base du limbe ! Voyons plus en détail.

Premier argument avec Aldrovanda vesiculosa

Si les causes de l'apparition d'un pétiole ailé semblent introuvables, on peut maintenant examiner les feuilles de la plante la plus proche, Aldrovanda, comme on le fait souvent en anatomie comparée. On est frappé de découvrir une structure homologue, notamment le piège. Celui-ci apparaît en bout de feuille (voir photo agrandie) tout comme la Dionée mais il est entouré d'un nombre variable de pointes qui le dépassent. Certains pensent qu'elles interviendraient pour guider les proies vers le piège de cette sorte de Dionée aquatique... Ce n'est pas flagrant : ces sortes de cils peuvent le faire quand les proies sont du bon coté mais, après tout, ils les empêchent aussi de passer lorsqu'elles sont du mauvais ! De plus, les proies susceptibles d'être piégées (et surtout retrouvées) sont souvent bien plus petites que l'espace entre ces dents... Bref, la fonction de guidage est douteuse... En revanche, quand j'observe la manière dont Aldrovanda pousse, je dirais que leur rôle pourrait être de maintenir à distance les autres brins, facilitant ainsi l'expansion de la plante et une meilleure pénétration de la lumière tout en empêchant une fermeture anarchique par contact avec n'importe quoi. Enfin, un grand nombre d'autres plantes aquatiques non carnivores, comme le Myriophyllum, ont des limbes très découpés ou en lanière, ce qui permet d'augmenter la surface d'absorption. Aldrovanda n'a pas de racine, ne l'oublions pas...

Le peu de scientifiques qui se sont intéressé au sujet penseraient plutôt, actuellement, qu'Aldrovanda serait une sorte de Dionée adaptée à la vie aquatique plutôt que l'inverse : elle ne serait pas une forme ancestrale de la Dionée mais son descendant. Mais dans cette hypothèse, elle aurait dû conserver des ailes visibles autour d'un pétiole différencié, au moins des traces, d'autant que la plante demande beaucoup moins de lumière à cause de l'invasion par les algues. Or, l'aspect d'aile dans la feuille d'Aldrovanda est franchement inexistant (voir encart ci-dessous), la partie avant le piège présente vraiment un aspect de limbe banal et homogène, si ce n'est le piège terminal quand il existe. Il y a des tas d'autres espèces de plantes avec des feuilles dont le limbe a une structure différentiée à leur extrémité, une vrille par exemple, voire même une vrille terminée... par un piège comme chez le Nepenthes !
Les pointes d'Aldrovanda seraient issues des denticules observées parfois chez la Dionée sur le limbe proximal.
Jusqu'à la preuve du contraire il n'y a pas de fossile très ancien de la Dionée et ce n'est guère mieux pour Aldrovanda dans la mesure où ne sont recensées que des pollens, suffisamment distincts pour leur attribuer des noms d'espèces mais insuffisant pour décrire la moindre forme...

Donc, pour moi c'est la Dionée qui descend d'un très ancien Aldrovanda et les pointes de celui-ci ont régressé rapidement en sortant de l'eau ; les denticules en seraient des vestiges ce qui est une explication élégante de leur présence, très fluctuantes d'ailleurs.
Si on accepte l'idée qu'il n'y a pas d'ailes mais un limbe qui a subit une constriction, ces denticules apparaissent simplement comme la manifestation vestigiales des mêmes gènes qui produisent les dents du piège ! Que de telles denticules apparaissent sur des ailes elle-mêmes issues d'un pétiole étroit... c'est de la pure spéculation étayée par rien du tout ! Si vous observez un piège de Dionée vous constatez qu'il y a d'ailleurs de telles denticules aux deux extrémités de chaque lobes, alors qu'elles ne peuvent plus jouer leur rôle. La preuve qu'il ne s'agit pas d'une nécessité fonctionnelle : les pièges les plus petits, issus de semis ou de bouture, ne présentent pas ces denticules, d'où leur forme vaguement carrée...

Denticules de bord de feuille

Sur cette photo d'Aldrovanda en fleur, ou plutôt en fruit, le rameau a d'abord classiquement produit des feuilles particulières dont le piège est remplacé par une pointe plus ou moins atrophiée. Puis il a formé une fleur, qui fructifie maintenant en s'incurvant vers le bas, puis enfin (arrière plan) une ramification est apparue à la base du pédoncule floral et produit des feuilles classiques. La photo montre très nettement qu'il n'y a pas d'ailes au niveau de ces feuilles, que le piège est un diverticule du limbe et que celui-ci est fixé directement à la tige, sans pétiole. Les cloisons et sacs aérifères traversent le limbe proximal en tous sens sans aucune rupture comme cela devrait être le cas si des ailes avaient poussées latéralement sur un pétiole...

Il est fréquent - même sans la présence de fleur - que le piège de l'Aldrovanda ne se forme pas - par exemple lorsque le pH est très acide - et la plante vit parfaitement quand même.
- Si le piège était tout le limbe, on se retrouverait avec une plante qui pousserait normalement mais ne produirait que des pétioles ? Nous avons vu le cas plus haut, les phyllodes, dont la cause est une lutte contre la sécheresse : une plante aquatique qui lutterait contre ça ?
- Au contraire, un diverticule foliaire qui ne se forme pas, c'est très banal chez beaucoup de plantes.

Donc, si cet argument pour le limbe proximal de la Dionée n'est pas décisif, il ne va certainement pas à son encontre, bien au contraire.

Les mutations et ce qu'elles nous révèlent

Un être vivant manifeste extérieurement ses caractéristiques à partir de ses gènes (génotype) et de l'influence du milieu au sens large. Cette manifestation s'appelle le phénotype. L'évolution se produit à partir de mutations brutales qui ne se manifestent pas forcément au niveau du phénotype. Le milieu peut ne pas être approprié pour cela, par exemple. La majorité de ces mutations provoquent plutôt des déficiences, des sortes de maladies génétiques : c'est un peu comme si on changeait brutalement une lettre au hasard dans ce texte, il y a peu de chances que l'on obtienne un mot correct, encore moins une phrase qui ait un sens. Les mutations peuvent aussi donner des effets peu marqués qui sont acceptables, un peu comme des coquilles dans un texte qui n'empêche pas de le comprendre. C'est surtout à partir de l'ensemble de la population avec toutes ses petites nuances individuelles (ces "textes individuels") que des combinaisons inédites surviennent et que la pression sélective va s'exercer. Par exemple, les hampes florales sont de hauteur variable sous l'effet de divers facteurs mais 30-40 cm est une bonne moyenne. Les plants qui produisent des hampes très basses ne sont manifestement pas avantagés et se reproduisent moins bien mais si vous passiez la tondeuse à gazon pendant un million d'années, vous pouvez être sûr que ce type serait majoritaire.
A cause de cette faible probabilité d'obtenir un avantage mais au contraire une forte d'obtenir un inconvénient, on trouve des fleurs albinos chez toutes les plantes à fleurs normalement colorées (c'est donc un désavantage) mais depuis des siècles les Hollandais espèrent vainement l'apparition d'une tulipe à fleur noire... On trouve aussi des Sarracenia (de toutes espèces) dites "heterophylla" c'est-à-dire sans le pigment rouge (protection contre les UV) mais en avez-vous vu des bleues ? Pourtant beaucoup de fleurs prennent cette couleur pour attirer les insectes, pourquoi pas des urnes en bleu ? Simplement parce que cela suppose l'action de non pas un seul mais de nombreux gènes et qu'ils ne vont pas tous muter en même temps, comme ça d'un coup. évidemment, on peut toujours trouver des contre-exemples mais le fait est là : il est rare qu'une mutation apporte une propriété nouvelle utile, il s'agit le plus souvent de la perte d'une caractéristique, ce qui peut devenir toutefois un avantage dans un nouveau milieu. Il y a plusieurs mutations qui altèrent ainsi la vision des couleurs chez l'homme (daltonisme, achromatopsie, etc.) mais avez-vous entendu parler de quelqu'un qui verrait les infrarouges ?
Pour qu'une mutation avantageuse survienne il faut donc un nombre considérable d'individus, ce qui dépend d'un taux de reproduction extrêmement élevé dans un temps bref (ex. Bactéries) ou une durée extrèmement longue, des centaines de milliers d'années...

Une mutation révélatrice

L'effet le plus spectaculaire d'une mutation (en dehors d'une maladie évidemment) se produit lorsqu'elle affecte un gène de régulation, un gène qui peut bloquer à lui tout seul l'expression de tout un ensemble de gènes et, à l'arrivée, d'un caractère.

D'après les explications qui précèdent, on comprend que la probabilité pour qu'une seule mutation produise la fusion du limbe avec les ailes en dessous, qui ont des origines différentes, est extrêmement faible. Pour donner une image, c'est un peu comme si on trouvait des gens avec les lobes des oreilles fixés sur les épaules, en exagérant un peu. Je ne vais pas rentrer dans les détails de l'embryologie mais cela me semble même moins invraisemblable que pour la feuille. Si le piège est à lui tout seul le limbe alors il est régi par "un gène" hypothétique distinct de celui qui produit les ailes. Si ce gène était désactivé par mutation nous obtiendrione une Dionée avec un piège au bout d'un vrai pétiole sans la moindre aile, ramené à la nervure centrale, avec une section parfaitement circulaire. Aucune mutation de ce type n'a jamais été observée et pourtant je cherche... Une feuille se forme à partir d'un amas de cellule, le méristème, et les différents gènes sont activés successivement pendant la croissance de la feuille, une telle fusion piège-ailes supposerait une coordination, tout un ensemble qui apparait au cours d'une lente évolution, pas brutalement. Par exemple, on verrait parfois les "ailes" se prolonger un peu sur le piège...

En revanche, s'il ne s'agit pas d'un pétiole ailé mais bien d'un limbe modifié alors il y a au moins un gène responsable de cette "constriction" entre le piège et la base et une seule mutation pourrait le bloquer, empêchant cette caractéristique. Cette mutation pourrait toucher diverses bases dans l'ADN ou divers gènes impliqués dans le phénomène puisqu'il y a une souvent chaine de processus en jeu, ce qui augmente d'autant les probabilités. Par exemple, on connait pas mal de mutations qui altèrent chez l'homme la coagulation du sang et qui correspondent à des gènes différents. La probabilité pour qu'une mutation produise cet effet est loin d'être négligeable.

Il se trouve que cette mutation existe !

Dionée 'Crested Petioles'
Dionée 'Crested Petioles'
Variété 'Red Fused Petiole'

Que penser de cette mutation appelée "Fused Petiole", dont le piège est directement fixé au limbe proximal, les lobes en continuité parfaite avec le reste de la feuille... Il s'agit manifestement d'une régression, c'est-à-dire que le limbe a simplement perdu la faculté de pousser en maintenant séparées ses deux parties (qui en deviennent moins efficaces) plutôt qu'une évolution qui serait la fusion des ailes avec les lobes du piège... Remarquer les denticules aussi marquées au bas du piège que sur le haut du limbe proximal, de manière tout à fait cohérente avec ma théorie. On ne connait pas de variétés aux feuilles plus ou moins fusionnées : c'est tout ou rien... On ne peut pas davantage distinguer une ligne de séparation entre la partie piège et la partie dédiée à la photosynthèse, qui pourrait peut-être laisser penser à une fusion, comme cela se produit pour la jonction des lobes chez la 'Cup Trap'. (Pour la 'Funnel Trap' il s'agirait plutôt d'une atrophie dans le développement, la fusion réduisant le bas du piège.)

Si on peut parfaitement estimer qu'une telle mutation ne signifie rien au niveau de l'histoire de la plante sauvage parce que c'est une mutation en culture, reste qu'elle témoigne tout de même de certains mécanismes génétiques, cela même qui sont la clé de l'évolution. Ce phénomène "fused petiole" est à l'image de cette mutation spontanée récemment observée chez des poulets par des scientifiques : l'apparition de dents ! Ils ne se sont pas dit qu'il s'agissait d'un caractère nouveau mais bien de la réactivation d'un gène ancien, qui était utilisé chez leurs ancêtres Dinosaures et qui existe toujours mais désactivé. Ils ont donc utilisé un virus pour ajouter à des embryons d'autres espèces d'oiseaux un gène de régulation, activateur de la croissance des dents chez d'autres vertébrés... et cela a marché ! Cela me conforte donc dans mon point de vue : à l'évidence c'est bien un retour à une feuille normale moins efficace pour retenir les proies que si les deux fonctions était anatomiquement séparées. Seule l'échanchéité au moment de la digestion est un peu plus délicate mais on constate également ce problème avec les pièges ordinaires, avec des "surpressions" qui provoquent une perte due liquide de digestion. C'est ce désavantage qui a fait apparaître cette constriction caractéristique, selon le principe "la fonction crée l'organe" (et non l'inverse...) et qui fait croire maintenant que des ailes auraient poussé plus tard autour d'un pétiole étroit banal.

Dionée 'Crested Petioles'

S'il s'agissait d'un pétiole, l'attache en ferait partie. On peut remarquer qu'aucune mutation chez la Dionée n'a été constatée à ce jour qui montrerait ces prétendus "pétioles" privés de leurs ailes. Pourtant, une seule mutation pourrait produire en quelques sorte une attache très longue... et il existe déjà plein de variations de taille des "ailes", même sur une seule plante. La variété filiformis montre tout le long de la nervure centrale une bande étroite mais bien prsente. C'est un peu curieux, une formation secondaire, facultative, qui résiste autant... La variété 'Crested Petioles' (photos joints) a juste une petite réduction légère de ces "ailes" coté attache, sans plus...

Conclusion

Comme la Dionée est seule dans le genre Dionaea on ne peut pas prouver l'existence ou non d'un pétiole ailé. Même si l'on rapproche la feuille de Dionée de celle du Drosera, avec qui elle partage des ancêtres assez proches, on ne peut conclure : certaines feuilles ont un long pétiole typique, bien cylindrique (D. intermedia par exemple) mais d'autres non, comme D. hamiltoni. La Dionée pourrait très bien descendre d'une forme proche de cette dernière, dont la mobilité du limbe est plus marqué à son extrémité.

L'observation attentive de la feuille complète montre que ce qui entoure latéralement ce prétendu "pétiole" est bien plus que de simples ailes, qu'elles deviennent parfois immenses, prolongeant et dépassant même la longueur de sa nervure centrale en donnant la forme d'un coeur. Celle-ci peut devenir négligeable et le piège absent ou atrophié, ce qui semble curieux s'il devait s'agir du limbe entier : lorsque qu'une feuille pousse, elle est plus ou moins grande selon les réserves, etc. mais on ne voit pas de pétiole pousser spontanément sans rien au bout à moins d'un problème phytosanitaire spécifique. Cela n'arrive que s'il y a destruction précoce de la partie concernée en croissance, à cause d'un puceron par exemple. Je ne parle pas du cas traité plus haut d'une plante adaptée aux climats secs et qui ne produit QUE ce type de feuille. En revanche, la partie spécialisée d'un limbe (comme une vrille terminale) peut être, elle, plus ou moins développée ou absente, comme il est banal de l'observer avec d'autres formations secondaires. Bref, le fait que le piège puisse être absent (c'est fréquent) me conforte dans l'idée qu'il est une partie du limbe et absolument pas sa totalité.
Pour information, chez le Drosera caduca le piège est présent surtout lorsque la plante a besoin de sels minéraux, notament pendant sa croissance juvénile puis les feuilles en sont dépourvues !

Pas de pétiole ?

Je reprends ce que j'écrivais dans la page sur l'Anatomie de la Dionée :
«Chez la Dionée, il y a à la base de la feuille une zone particulière, blanche, qui ne participe pas à la photosynthèse. Comme elle enveloppe le rhizome on parle, en botanique, de feuille amplexicaule. Le terme "feuille embrassante" se dit plus précisément lorsqu'il y a les lobes inférieurs de la feuille qui y participe, ce n'est pas le cas ici. Elle stocke les réserves et c'est pour cela qu'il faut impérativement la laisser lorsque l'on retire une feuille trop vieille, en tout cas tant qu'elle est claire, c'est-à-dire vivante, ce qui dure des années... Cette zone, c'est important, est séparée du reste de la feuille par un étranglement, une zone qui ne manifeste aucune "aile", tout juste un angle aigu, la section ayant un aspect un peu triangulaire, en forme de ménisque convergent - i.e. de quartier de lune si l'on veut...»

Cet ensemble correspond donc très bien à la définition d'un pétiole et il n'existe aucun autre nom botanique pour le définir ! Le vrai pétiole serait donc bien ces 10 ou 15 % de la base et pas autre chose... Rien de tel n'existe chez Aldrovanda, comme on peut le voir mais la présence d'un pétiole est l'une des choses les plus variables d'une espèce à l'autre et même dans une même espèce selon l'emplacement de la feuille, même si la présence ou non peut être parfois un critère d'identification.
Si l'anatomie ne suffisait pas, on constate aussi que c'est cette partie seule de la feuille - chez la forme sauvage au moins - qui est capable de produire des plantules. (Voir La reproduction de la Dionée.)
Le reste correspond donc au limbe, qui joue le rôle normal de tout limbe : l'approvisionnement en énergie par photosynthèse. Une deuxième fonction particulière s'est ajouté à la première et, comme chacun sait, "la fonction crée l'organe" - et non l'inverse. La partie supérieur (distale pour les puristes) joue un rôle original puisqu'il sert en plus à obtenir des sels minéraux, rôle habituel des racines qui ont bien du mal à suffire dans un sol si pauvre. Vous avez compris qu'il s'agissait du piège... Au-dessous de ce pédicelle se trouve donc une partie que je ne peux plus appeler "pétiole" (puisque j'en distingue déjà un) et que j'appelle donc simplement limbe proximal. Il est plus ou moins large selon la variété, l'époque de l'année ou la feuille choisie.

Donc il est plus raisonnable de nommer "limbe proximal" ce que l'on a pris pour habitude de nommer "pétiole".

Je vous propose de poursuivre dans une page importante : "Spéculations sur l'origine de Dionaea"...